Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live

Par une douce soirée d'Octobre, j'ai été conviée à assister à une session privée au Studio St Germain à Paris pour  écouter quelques titres du dernier et troisième album de la chanteuse Cécile Mc Lorin-Salvant.

Cette Franco-américaine de 27 ans a derrière elle une réputation de vocaliste prodige, couronnée par le prestigieux concours de chant jazz dans le monde au Thelonious Monk Institute. en devenant la plus jeune artiste à remporter la Thelonious Monk Competition en 2010 devant un jury composé de Dee Dee Bridgewater, Dianne Reeves, Kurt Elling, Patti Austin et Al Jarreau !

C'est peu de dire que lorsque l'on entend Cécile Mc Lorin-Salvant, on est vraiment très impressionné, voire presque sidéré par son organe vocal qu'elle utilise à plus de 100% de ses capacités. Cécile Mc Lorin-Salvant n'est pas du tout la chanteuse de Jazz vocal standard que l'on s'imagine. Cela va bien au-delà de la puissance et de l'amplitude vocales qu'on lui connaît. C'est surtout sa maîtrise vocale et les figures de styles qu'elle est capable de faire pour son jeune age. Elle possède ce qu'on appelle le «Death growl» (chant guttural ou caverneux) ou encore le rubato (le soufflé chanté ou dans un tempo flexible), ces techniques vocales impressionnantes dont Cécile fait un usage récurrent avec une simplicité désarmante. 

Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live

Ensuite, on est tout aussi surpris par le parcours emprunté par Cécile sur un plan discographique. D'abord elle s'est forgé une panoplie d'expériences et de formations musicales classiques, baroques, de Jazz et de Blues traditionnels. Son  ascension fulgurante dans le monde du Jazz s'est opérée avec l’album "Woman Child" en 2013 (sur lequel elle embrasse près de 3 siècles de musique américaine) qui l'a révélée au grand public. Suivi de près par son second album, "For One To Love", qui a confirmé tous les espoirs placés en elle et a été élu «Album de Jazz Vocal de l’Année» en 2016 aux prestigieux Grammy Awards. Elle a dès lors enchainé plusieurs tournées dans le monde entier et particulièrement en Europe et dans son Amérique natale.

Quand j'arrive au studio, nous sommes une poignée de personnes à assister à ce concert intimiste et privé à Paris, quelques semaines après la sortie de son troisième album "Dreams & Daggers" publié fin septembre (PIAS/Mack Avenue Music). L'occasion pour l'assistance présente de découvrir de façon privilégiée sur le plan acoustique ce troisième opus qui fait montre pour la jeune chanteuse d'une activité artistique prolifique (pas moins de 23 chansons sur cet album).

La session est organisée à la fois par son distributeur PIAS et son producteur, et son représentant venu exprès des USA, Casey Conroy du label Mack Avenue Music qui accompagne Cécile Mc Lorin Salvant depuis ses débuts. 

Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live

Nous avons droit à un petit discours de présentation de ce double album foisonnant et constitué de compositions et de reprises qui explorent principalement le thème des relations interpersonnelles, de l'amour et de ses déchirures mais aussi donnent quelques clins d'oeil d'humour grinçant.

Il est à l'image de Cécile, éprise d'esthétisme, d'arts visuels (illustratifs et graphiques), qui a pris un soin tout particulier (comme le précédent album) à soigner la jaquette et le contenu de l'album, avec des photos de qualité en papier glacé, des dessins et des crédits entièrement conçus et écrits à la main au verso du disque. Une manière aussi d'afficher sa forte personnalité, son intelligence et son humour débordants, ainsi que sa lucidité absolue sur ce qu'elle veut donner à voir et à écouter à son public.

D'ailleurs, elle arrive toute pimpante avec une robe ample sur-mesure d'un jaune éclatant, des bas noirs surmontés de Doc Martens argentés du plus bel effet, avec ses fameuses lunettes rondes et grises qui encadrent son visage. Elle arrive d'un pas décidé, reconnait des visages familiers dans l'assistance et enchaine très vite les premiers titres accompagné de ses musiciens : le pianiste Aaron Diehl, Paul Sikivie à la contrebasse, et Kyle Poole à la batterie (en lieu et place de Lawrence Leathers).

Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live

Le nouvel album "Dreams and Daggers" est surtout le fruit d'une décision affirmée de Cécile de réaliser un album authentiquement live dont la qualité et l'acoustique seraient aussi irréprochables que celui d'un album studio. Pour cela, elle a choisi de l'enregistrer à New-York au sein de la Mecque du Jazz, le célèbre Village Vanguard et au DiMenna Center. On la retrouve au côté du trio avec lequel elle a beaucoup tourné : Aaron Diehl au piano, Paul Sikivie à la contrebasse et Lawrence Leathers à la batterie. Lors de sa sortie le 29 septembre 2017, ce nouvel opus a été propulsé aussi bien en Amérique aux premières places du Billboard qu'en Europe en tête de la plateforme I-Tunes des disques de Jazz. Au-delà de ces classements, il faut surtout mettre en avant les choix musicaux atypiques dont est coutumière Cécile Mc Lorin-Salvant. 

Elle dispose d'un grand répertoire de reprises rares et de compositions personnelles, qui couvre aussi bien la musique de Jazz que la Soul music et le Blues, essentiellement des titres tirés du Great American Songbook, en français, Grand répertoire américain de la chanson, qui désigne communément la musique populaire américaine des années 1920 aux années 1960, avant l'arrivée et le succès du rock 'n' roll (source Wikipédia). Elle y reproduit avec constance la sainte trinité Billie Holliday/Sarah Vaughan/Ella Fitzgerald mais mets également en avant d'autres chanteuses plus ou moins connues.

A l'image de ce premier single déjà disponible  "You're My Thrill",  premier extrait de son nouvel album qui donne directement des frissons dès les premières notes, comme l'a pu faire son interprète d'origine, la très grande Billie Holliday.

A travers une simplicité, une grâce et une délicatesse qui lui sont propres, le tout avec un grand sourire, on est très vite attaché et charmé par cet outil de précision presque chirurgical qu'est la voix de Cécile. Dans ce nouvel album, elle survole son répertoire avec une aisance vocale déconcertante, que ce soit en voix de tête comme dans les graves, et une amplitude démesurée des chansons issues d'une variété de Jazz / Blues musicaux très différents. C'est exactement ce qui nous attend pendant cette session privée alors que nous disposons par ailleurs d'une acoustique de très haute qualité dans ce studio. La soirée s'annonce donc sous les meilleurs auspices.

Au-delà de cette technique vocale surprenante, Cécile Mc Lorin-Salvant souhaite nous embarquer aussi dans ses propres itinéraires intimes musicaux, à la rencontre de titres aussi rares que charismatiques qui sont peu repris sur scène par d'autres chanteuses. A l'image de la setlist des chansons (45 minutes de set) que nous entendrons ce soir : Somehow I Never Could Believe, Nothing Like You, If A Girl Isn't Pretty, Tell Me What They're Saying Can't Be True, The Island (inédit), My Man Gone's Now, You've Got To Give Me Some, Si j'étais Blanche (rappel).

C'est la promesse de titres chantés par de grands compositeurs et interprètes méconnus pour certains auxquels elle leur vole non seulement la vedette, mais qu'elle reprend avec une certaine confiance à moins que cela ne soit de la hardiesse bien placée. Elle se montre capable d'habiller et d'habiter le texte comme s'il avait été fait pour elle, en une fraction de seconde, que sa voix soit pleine, rageuse, criarde, ou endiablée. Cécile emporte immédiatement l'adhésion de l'assistance qui succombe sous l'emprise vocale et du timbre atypique de la chanteuse franco-américaine.

 

Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live

Autant dire que l’effet est assez stupéfiant. Avec son groupe (dont la complicité est évidente) l’interprétation de Cécile caresse, balance et swingue à tout va, ou on reste suspendu à sa voix enjôleuse et bondissante. Les aigus sont frémissants, les graves vous remuent de l'intérieur avec beaucoup de subtilité et de douceur. L'occasion est donnée par Cécile et ses musiciens de nous emmener sur des sentiers inédits avec des mélodies éblouissantes bien loin des milliers de versions existantes.

Qui se rappelle que le titre "Somehow I Never Could Believe" est issu d'un opéra en 2 actes "Street Scene" écrit par Kurt Weill en 1946, sur des paroles de Langston Hughes et basé sur la pièce de théâtre d'Elmer Rice, laquelle reçut en 1929 le Prix Pulitzer dans la catégorie Théâtre ? Mieux encore que ce titre fût chanté par Elisabeth Carron, chanteuse d'opéra Soprano. Qui se souvient que la chanson "Nothing like you" est une chanson d'amour extravagante (selon son auteur) écrite par Bob Dorough, pianiste de Jazz émérite, chanteur, compositeur, arrangeur et producteur qui a travaillé notamment avec le grand Miles Davis.  Plus proche de nous, Cécile reprend avec beaucoup de volubilité et de joie évidente le standard extrait de la comédie musicale de Broadway, "Funny Girl", interprété par l'immense Barbra Streisand, mais aussi par Diana Ross and The Surprêmes, "If A Girl Isn't Pretty". Pendant les solos de piano ou de batterie, Cécile prend le temps d'esquisser des pas de danse virevoltant comme si elle était seule au monde. 

Cécile Mc Lorin-Salvant peut également se montrer sarcastique avec un titre des années 20, composé et interprété par Bessie Smith "You've Got To Give Me Some", qui fait doucement sourire l'assistance. Qui sait aujourd'hui que Bessie Smith était l'une des artistes afro-américaines parmi les mieux payées des années 1920,  et qu'elle a eu une influence musicale importante sur des chanteuses comme Billie Holliday, Sarah Vaughan, Dinah Washington, Nina Simone ou encore Janis Joplin (qui a fait graver sur sa tombe  « La plus grande chanteuse de blues au monde ne cessera jamais de chanter – Bessie Smith 1894-1937) et que svoix puissante et son style de chant ont été une contribution importante à l'histoire de la musique populaire.

Sans oublier le très subtil et moqueur "Si J'étais Blanche" en rappel qui a l'origine fût chanté par la charismatique Joséphine Baker (qui ne fut pas que meneuse de revue, mais aussi considérée comme la première célébrité noire). Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle joua un rôle important dans la résistance à l'occupant. Elle utilisera ensuite sa grande popularité dans la lutte contre le racisme, et pour l'émancipation des Noirs, en soutenant en particulier le Mouvement des droits civiques de Martin Luther King. Ce titre "Si J'étais Blanche" a été enregistré en 1933 dans une Amérique raciste bien avant le Mouvement des droits civiques et l'émancipation des afro-américains aux Etats-Unis. 

C'est bien là tout le talent de Cécile Mc Lorin-Salvant de partager des chansons oubliées et vintages sur le papier, et de les rendre avec de magnifiques arrangements, plus contemporaines et acceptables pour les nouvelles générations. L'air de rien Cécile Mc Lorin-Salvant fait passer également des messages subtils sur la condition des femmes, sur le racisme sous-jacent en Amérique, sur les comportements différenciants de certaines époques, qui ne seraient plus ou moins admis aujourd'hui. Elle ne manque pas de présenter chaque titre à sa façon, de manière très détendue et synthétique, afin d'accorder toute la place aux titres qu'elle interprète pour nous ce soir.

Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live
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Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live

De cette session privée, je retiendrai aussi et surtout le piano-voix impromptu avec un invité inattendu, en la personne du pianiste américain Sullivan Fortner. Je le découvre aux côtés de Cécile pour une reprise inédite de "The Island", pour laquelle, prise au dépourvue, elle s'excuse d'avance de ne pas être certaine de se souvenir de la totalité des paroles. Avec sa précédente chanson "Tell Me What They're Saying Can't Be True" et "The Island" cette cover écrite et interprétée à l'origine par Sarah Vaughan, puis en 1999 par Barbra Streisand, on tient là les deux pépites de la soirée qui arrachent des applaudissements nourris du public. 

L’interprétation émouvante de Cécile et la qualité de l’arrangement pianistique sont éclatants, les poils des bras au garde à vous, il est difficile de ne pas être totalement bluffé par la performance qui nous est offerte. Après un rappel mémorable avec la chanson "Si J'étais Blanche", la chanteuse citoyenne d'Harlem, clôt le concert avec brio et les cris satisfaits de l'audience présente. Elle accorde quelques minutes à chaque participant pour des autographes et des photos et s'en va savourer avec ses musiciens et ses amis présents le succès mérité de cette session.

Je me surprends avec le temps à dépasser la technique vocale impressionnante que Cécile utilise naturellement, et surtout à me focaliser sur son interprétation très stylée et personnelle qui accorde beaucoup d'importance aux choix des chansons et à l'authenticité organique des arrangements. En cela, elle fait partie de cette nouvelle génération de chanteurs de Jazz de moins de 40 ans qui ne s'interdit rien, qui est une artiste «totale» avec un grand Ten s'appropriant toutes les facettes nécessaires pour la production d'un album à son image. Elle se donne corps et âme avec son groupe qui n'est jamais un simple faire-valoir de sa voix mais plus surement une clé essentielle de son parcours musical. Cécile Mc Lorin-Salvant dessine et construit patiemment son sillon avec ce troisième album qui confirme son talent unique, à l’orée d’une carrière qui s'annonce remarquable.

Cécile Mc Lorin-Salvant en session privée au Studio St Germain, live report et session live

Wynton Marsalis (trompettiste et compositeur américain, natif de La Nouvelle-Orléans, qui fut le premier artiste à recevoir un Grammy Award pour ses enregistrements de jazz et de musique classique à la fois, et en 1997, le premier jazzman à recevoir le Prix Pulitzer de musique) disait déjà de Cécile à ses débuts " Elle a une tranquille assurance… élégance, soul, humour, sensualité, puissance, virtuosité, tessiture, perspicacité, intelligence, profondeur et grâce,” avant d'affirmer "des chanteuses comme ça, vous en avez une par génération ou toutes les deux  générations". Il semblerait bien que Cécile Mc Lorin-Salvant lui donne raison ....

On se saurait vous laisser dans l'expectative de cette session intimiste et c'est pour cela que le blog vous propose quelques extraits de ce concert intimiste. On espère que vous saurez apprécier ce bonus musical, avant de retrouver bientôt sur les routes Cécile Mc Lorin-Salvant avec ses musiciens, et en particulier avec en invités le Catalyst Quartet (quatuor à cordes) et le pianiste Sullivan Fortner !

Actuellement en tournée aux Etats-Unis, Cécile viendra en France présenter son nouvel album à partir de janvier 2018 : le 11 à Blois, le 12 à Périgueux, le 13 à Agen, le 14 à Rodez, le 19 à Caen, le 23 à Ibos, le 24 à Nîmes.

Plus d'infos sur Cécile Mc Lorin-Salvant sur : Site officiel / Facebook

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