© Pierrick Guidou

© Pierrick Guidou

Après les avoir vus souvent sur scène, pour me régaler des chansons issues de l’album « Des espoirs de singes » (2014), avoir vécu de façon plus ou moins proche l’aventure particulière du télé-crochet « The Voice », est arrivé ce jour d’août 2015, où j’ai eu le privilège d’être invitée une journée en studio en compagnie du groupe et de Jeff Hallam aux manettes pour voir et écouter la fabrication d'un des titres de leur futur opus.

Cette journée fut très studieuse, malgré la chaleur étouffante de l’été. J’ai été très marquée (agréablement) de voir un groupe et un réalisateur, prendre le temps d’explorer toutes les possibilités, les ouvertures, même les accidents de parcours, aussi concentrés sur chaque prise, ou encore d’avoir ces fous-rires libérateurs après avoir obtenu LA note espérée, être témoin des prises de décisions collectives, en bref mettre en œuvre cet amour infini du travail bien fait, avec le coeur et les tripes.

Je m’incline respectueusement sur ce travail de titan effectué par le réalisateur/directeur artistique Jeff Hallam (qui doit vous être familier, car il est le musicien qui accompagne depuis 2009 Dominique A et s’attelle en ce moment à son projet solo My Friend Jeff). Il a brillamment réussi à transposer l’empreinte forte du groupe (en Live) en version studio sans en trahir ni l’essence ni l’esprit. Le fait d’avoir autant de casquettes (musicien, réalisateur, artiste, ingénieur du son) se retrouve dans ce nouvel opus de 3 Minutes Sur Mer (3MSM). Un peu comme un caméléon, ils ont exploré tous les contextes, toutes les aspérités, toutes les possibilités vocales, artistiques et musicales, qui leur étaient offerts, mais cela ne veut surtout pas dire que le résultat soit lisse. Bien au contraire. 

L' EP 'Catapulte' de 3 Minutes Sur Mer, chronique de l'album
L' EP 'Catapulte' de 3 Minutes Sur Mer, chronique de l'album

Quand j’ai écouté les 4 titres de l’EP "Catapulte", j’ai d’abord été saisie par la pureté des voix, le travail soigné et soigneux sur chaque instrument de musique, ces arrangements presque au millimètre, cette esthétique fragile entre autant de voix différentes, et ce subtil équilibre entre le rythmique l’électrique et l’acoustique qui respecte la personnalité des 3 garçons, Samuel Cajal, Guilhem Valayé et Johan Guidou qui forment le groupe de 3 Minutes Sur Mer. Cela tombe bien car le groupe a toujours brillé par des envies musicales non linéaires et souvent hors cadres d'une chanson française revisitée. Et ce 10 mars 2016, alors que l'EP "Catapulte" (Joie'n'Records, en partenariat avec Yapucca / H.Y.P)  est maintenant disponible sur toutes les plateformes de téléchargement, je peux le dire, j’ai été bluffée. A tel point que j’ai versé des larmes à la première écoute de cet EP. Un peu, puis beaucoup. Vraiment beaucoup.

Il fallait bien que je les sèche pour vous le chroniquer.

Le titre « Catapulte » qui ouvre l’EP porte bien son nom. Il se dresse telle une vigie, entre ciel et terre ou au choix entre calme et tumulte vers les sillons des 4 titres qui composent l’EP. A l’écoute, cette introduction fait figure d’architecture dorsale. Les notes mélodiques et acoustiques de Samuel Cajal nous conduisent naturellement vers la voix fluide, distincte, presque timide de Guilhem Valayé. A peine est-on bercé par le premier couplet que se profile presque insidieusement celle de Louis-Jean Cormier. Première bonne surprise.

 

L' EP 'Catapulte' de 3 Minutes Sur Mer, chronique de l'album

Cet immense artiste québécois est venu poser sa voix si reconnaissable, cet accent, ce phrasé qui n’appartiennent qu’à lui, à l’ombre de celle du viking Valayé. Louis-Jean Cormier et son groupe Karkwa sont comme on dit là-bas des vedettes. Son dernier opus en solo « Les Grandes Artères » (que je vous recommande chaudement) est un vrai bijou musical. On connait les accointances du groupe 3MSM avec le Québec, qui ne cache pas son amour et son admiration non seulement pour ses grands espaces, mais aussi pour ces artistes, et en particulier  la musique de Louis-Jean Cormier. Comme le dit Guilhem « Ayant un ventricule de chaque côté de l'océan, il était important pour moi que le Québec soit sur notre album. Mon ami Louis-Jean est venu chanter "Catapulte" avec 3 minutes sur mer et l'a emmené dans la stratosphère. ».

On peut dire que Guilhem et Louis-Jean sont comme des frères d’armes musicales qui ont en commun un respect infini pour la chanson française (pas que la grande mais aussi la populaire), l’amour des textes, ceux de Félix Leclerc en particulier que chacun s’est approprié à sa manière en mettant en relief  cette résonnance déjà si actuelle (L’alouette en colère pour 3MSM). Mais revenons à nos moutons.

3 Minutes Sur Mer nous convie cette fois à un voyage intérieur, coincé entre le Présent et ses envies d’ailleurs, en quête d'une liberté impalpable pour briser ses chaînes. Le petit sillon du début devient chemin, puis s’ouvre vers le ciel, et nous donne le vertige, comme le ferait la vitesse d'un caillou au bout d'une catapulte. Mieux une fusée. L’extraction de la base se faisant avec la guitare acoustique de Samuel et la voix fragile de Guilhem, puis l’explosion du second étage fait décoller le vaisseau avec le rythme imprimé par Johan. Les chœurs du duo franco-québécois et des cuivres saisissants de magnificence mettent enfin la fusée en orbite, qui prend de la hauteur avec l’ignition vocale des voix de têtes « à une autre altitude, là où tout s’affole ».

L' EP 'Catapulte' de 3 Minutes Sur Mer, chronique de l'album

Le duo s’échappe et gravit une à une les hauteurs de ces montagnes russes, gonflé à bloc comme à vol d’oiseau, et s’élève crescendo avec les cuivres pour donner un vertige saisissant si loin de la douceur acoustique du début. Ce paroxysme lyrique et des instruments atteignent la stratosphère là où l'énergie électrique sortie de la guitare de Samuel Cajal peut enfin trouver son plein essor et envoyer les fameux électrochocs. Ce mélange strato-électrique permet aux voix angéliques de l'aigle Cormier-Valayé d’envelopper cette ballade aérienne dans un cocon. Jouissif. Excellent. Encore !

A ce moment précis, l’écoute du morceau devient purement physique, le cadencement est si vigoureux que la rythmique est comme un cœur battant, haletant qui tente de reprendre son souffle, pour ne plus en redescendre.

On se dit déjà si on commence par un morceau de bravoure, que va donner le reste de l’opus ? Serait-il annonciateur de ce que sera la mouture du futur album ?

« Cage » le second titre, est un morceau bien connu des fans du groupe. Un des rares à ne pas figurer sur le premier opus « Des Espoirs de Singes ». Il apparaissait donc presque évident qu’il figure dans la production de cet EP. Je dirais même que ce titre est presque l’étendard naturel du groupe, car c’est souvent par cette chanson que les gens découvrent la musique de 3MSM (grâce à la superbe session de Soul Kitchen, ci-dessous). Cette chanson recèle ce que 3MSM apprécie de mettre dans son répertoire, un texte avec une résonnance philosophique, des sens multiples qui donnent autant à comprendre qu’à réfléchir (ici la place de l’Homme dans l’univers). Elle brille par sa sobriété mélodique et acoustique, cette habileté à se servir des cœurs (les fameux ah ah ah) comme autant de barreaux de cette Cage à laquelle l’Homme voudrait échapper, pour faire ressentir (sortir de) cette oppression qu'il s'impose. Puis, il y a cette sincérité, cette authenticité, qui touchent quand on l’écoute. Il n’y avait donc aucune raison que sa trame artistique soit changée au profit d'arrangements redondants et c’est avec bonheur qu’on la retrouve (enfin ) dans l’EP. 

Sur le troisième titre, 3 Minutes Sur Mer nous offre une autre sacrée surprise. Et de taille. D’abord une chanson originale qui a dû à tout casser être  jouée sur scène 1 fois. Puis le titre lui-même, « Ce n’est pas nous qui sommes mauvais ». Pas facile à porter à prime abord, mais qui se comprend quand on ajoute la fin de la phrase "L'endroit d'où l'on vient" qui a vraiment du sens pour l’auteur du titre « Le Jardin », qui a les pieds bien ancrés dans la terre.

Enfin, et une fois n'est pas coutume, cette chanson met en lumière la voix de la chanteuse Zazie (pour mémoire, qui fut le coach de Guilhem pendant la saison 2015 du télé-crochet « The Voice »). Elle avait dit de lui qu’il était la parfaite représentation du mot « Charismatique ». A mon tour d’employer ce mot pour ce duo inédit. Prendre la succession d’Axel Bauer n’était pas chose aisée, Guilhem Valayé a relevé haut la main ce pari. L’étrangeté du titre n’a d’égal que le texte qui le compose, le fantôme d'Alain Bashung n'étant pas vraiment loin. J’hésite entre Adam et Eve dans le Jardin de l’Eden version 21è siècle  et un couple épuisé par le bruit et la fureur de la vie moderne qui cherche un peu de sérénité. Cependant, la simplicité de la mélodie, le mélange heureux des voix de Guilhem et de Zazie, le riff lancinant de la guitare de Samuel Cajal qui tranche parmi ces notes acoustiques, la sobriété rythmique font de cette composition un titre atypique très agréable à écouter. En mode Zen (Restons Zen, tiens ça me rapelle quelque chose) les yeux fermés dans une bulle. En évitant d'y sortir si possible. Certainement le clou de cet EP qui n'a pas fini de nous épater ....

L' EP 'Catapulte' de 3 Minutes Sur Mer, chronique de l'album

© Pierrick Guidou

Pour clôturer cet EP de 4 titres, le groupe 3 Minutes Sur Mer revient à ses premières amours, avec une chanson très imposante. « Pour partir » à l’écoute fait penser de suite à un chant de galériens. Sur cette chanson maintes fois écoutée, entendue, ressassée, soufflée, en concert,  3MSM met la barre encore plus haute. Guitare-voix pour ouvrir cette composition très vite rattrapée par la  batterie prenante, voire oppressante de Johan Guidou, la cloche et ses chœurs marins.

Guilhem nous emmène dans un voyage difficile tel un forçat, qui est dos au mur, face à ces dernières heures de liberté. Cette chanson qui tranche avec les précédents titres n’en demeure pas moins une magnifique composition. Guilhem, grâce à son travail avec Françoise Fognini, est très doué pour à la fois chanter mais aussi raconter des histoires où la fragilité, l’intensité du propos, la sensibilité nous bousculent. Il a non seulement l'écriture mais également la voix "imagée". On se projette sans difficulté aucune dans ces histoires plus invraisemblables les unes que les autres. Sans en sortir vraiment indemne (mais où est ma boîte de Kleenex).

La sincérité criante du propos artistique, ces arrangements de dentellière du son sont le fil rouge de cet EP brillant, généreux et réussi à tout point de vue. C'est un disque qui leur ressemble, un hydre à 3 têtes où chacun a mis sa patte sans écraser l'autre. Sans aucun doute un album à se procurer de toute urgence, à ranger entre Dominique A et Alain Bashung (oui, rien que ça).

Le groupe 3 Minutes Sur Mer a souvent répété qu'il leur fallait quelques années avant de délivrer un premier album studio, dans lequel ils se retrouvent sans se renier avec toutes leurs idées, leurs textes, leurs musiques qu’ils souhaitaient, avec les bonnes personnes, à commencer par eux-mêmes. La valeur pour une fois a attendu le nombre des années et ça valait la peine d’attendre ! Merci Messieurs pour cette magnifique échappée émotionnelle, hors des sentiers battus d'une chanson française que vous avez su réinventée dans cet EP !

L' EP 'Catapulte' de 3 Minutes Sur Mer, chronique de l'album

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